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Pourquoi vaut-il mieux couvrir le sol ?

Depuis des lustres, le sol des jardins et des champs est retourné et laissé tout nu pendant l’hiver ou entre deux cultures. Après les labours, le paysage devient tout brun pendant des mois. Pareil autour des villages, la terre des jardins bêchés bronze au soleil d’hiver et se fait rincer le dos par la pluie. L’idée communément admise est que la terre doit se reposer sans rien dessus, et que les intempéries vont casser les mottes.

Mais il y a du nouveau. Petit à petit, les chercheurs qui étudient le sol découvrent que les choses ne marchent pas comme ça. La terre n’est pas un élément inerte où les engrais font pousser des végétaux. C’est un corps vivant, avec des millions de bestioles, de bactéries et de champignons qui travaillent, transforment et créent les conditions de la fertilité.

L’idée qui émerge, vous en avez sûrement entendu parler, c’est qu’il vaut mieux rhabiller la terre dès après la récolte, car ça ne lui fait aucun bien de rester toute nue. Je suis allé interroger Jean-Claude Naas, membre de l’ACJCA et président de l’ABCVV (Arboriculteurs et Bouilleurs de Cru de la Vallée de Villé), pour en savoir plus. C’est un fin jardinier, et il nous parlera aussi du pied des arbres dans les vergers.

Le pourquoi et le comment

Jean-Claude, on parle partout de la nécessité de couvrir le sol. Peux-tu nous résumer ces nouveaux enjeux du travail de la terre ?

Jean-Claude Naas : Justement ! Il s’agit de laisser la terre travailler tranquille. Et de l’aider ou de la copier au lieu de se battre contre elle. On s’est aperçu que la forêt se débrouille très bien sans nous pour produire du bois et gérer le sol sans engrais, ni pesticides ni travail. L’idée est de s’inspirer d’elle. Et puis on se rend compte que l’agriculture basée sur la chimie appauvrit les sols, détruit les vers de terre et demande sans cesse plus de produits.

Oui mais l’exemple de la forêt est-il transposable aux jardins et à l’agriculture ?

JC : La nature n’a pas trente-six façons de faire… Les arbres, l’herbe ou les choux font leur photosynthèse grâce à la lumière du soleil et au CO2 présent dans l’air, et ils vont chercher l’eau et les minéraux au sous-sol. Tous ont besoin d’humus, qui est la première couche du sol. C’est un concentré de vie, complexe et fragile.

Pourquoi changer nos façons de faire ? La charrue et la bêche passaient pour la seule méthode valable.

JC : On commence à mieux connaître la vie du sol, qui est organisé en étages, la couche superficielle étant la plus fertile et la plus fragile. Déjà, le bêchage ou le labour mettent cette structure sens dessus dessous. Les bestioles et micro-organismes du dessus, qui ont besoin de l’oxygène de l’air, se retrouvent étouffés au fond. Celles qui travaillent en dessous, à l’abri de l’oxygène, se retrouvent les fesses à l’air. Pareil pour les mineurs de fond du sol que sont les vers de terre, dont on détruit les galeries. Donc c’est la pagaïe : tous les ans le sol doit refaire sa structure, c’est une grosse perte de temps et d’énergie.

Bon, mais à quoi sert de couvrir le sol ?

JC : Eh bien, si en plus de la retourner tu laisses la terre toute nue, la couche d’humus et son petit peuple habituellement protégés par la végétation vont se faire attaquer par les rayons UV du soleil, et se faire lessiver et déstructurer par les pluies et le vent. Résultat : affaiblissement et appauvrissement du sol, érosion. Alors qu’en forêt, les végétaux protègent leur sol et l’entretiennent par le recyclage des matières organiques que sont les feuilles et les branches mortes.

Mais il n’y a guère de feuilles mortes dans un jardin…

JC : C’est justement pourquoi il faut les remplacer en couvrant le sol nu de matière organique, pour le protéger et entretenir sa fertilité en le nourrissant. Cet apport compense en partie ce que nous prenons en faisant nos récoltes. Au lieu de nourrir les plantes avec des engrais, on nourrit le sol pour qu’il ait de quoi nourrir les plantes. Du coup le sol s’active et devient de plus en plus fertile.

Côté pratique

Maintenant qu’on a vu les principes, comment peut-on les appliquer ? Sans entrer dans trop de détails, dis-nous au moins les grandes lignes.

Jean-Claude Naas : Première indication, on voit de plus en plus d’agriculteurs qui évitent de labourer, diminuent le travail du sol, et cultivent des engrais verts (vesce, moutarde, phacélie, etc.) entre deux cultures pour ne pas laisser la terre nue. En plus, les racines de ces végétaux travaillent la terre, l’améliorent et stimulent les micro-organismes.

Mais au jardin, qu’est-ce qu’on fait ?

JC : D’abord le jardinier renonce à bêcher et se contente d’aérer le sol sans le retourner. C’est déjà beaucoup, car le bêchage est une culture acquise et bien ancrée. Côté couverture, la culture des engrais verts est moins adaptée à un jardin. On les remplace par le paillage.

On met de la paille partout ?

JC : Non non ! On dit paillage par convention. On peut mettre de la paille, mais elle se décompose lentement et c’est une matière « pauvre ». Le mieux, si on en a, est d’en tapisser les allées entre les plates-bandes. On couvre le sol plutôt avec de la tonte (l’herbe coupée), les feuilles mortes en automne, et surtout le broyat (branches issues de la taille des arbres et arbustes passées au broyeur), frais ou plus ou moins composté. La tendance actuelle, c’est une bonne couche de foin. Il est riche et plaît beaucoup aux bestioles et micro-organismes du sol. Le vieux foin qui ne peut plus servir de fourrage aux ruminants trouve là une autre utilité nourricière ! Tout simplement en retournant à la terre…

Quels bénéfices peut-on attendre de ce système ?

JC : D’abord cette matière organique est décomposée et incorporée à l’humus. C’est pourquoi il faut en rajouter au fur et à mesure. Ensuite elle conserve l’humidité, diminuant les besoins en arrosage. Elle stimule l’activité du sol vivant, qui s’ameublit, devient granuleux et grouille de vie. Enfin la couverture limite la repousse des adventices, les fameuses mauvaises herbes. Ça fait beaucoup d’avantages, non ?

Et qu’est-ce qu’on fait de cette couverture quand on veut planter ou semer ?

JC : Quand on sème des radis ou des carottes, par exemple, le mieux est d’ouvrir le paillage pour réchauffer le sol quelques jours, de gratouiller la surface, puis d’étendre une fine couche de compost tamisé. On fait un petit sillon et on sème. Quand les graines ont levé, on peut ramener le paillage jusqu’au bord des plantules. Pour repiquer salades, betteraves et autres, il suffit d’écarter un peu le paillage, juste assez pour mettre les légumes en place. Et on laisse le paillage entre les plants, il va continuer son travail pour le sol et empêcher l’herbe de pousser.

Et au verger ?

Pourquoi couvrir le sol au pied des arbres dans un verger ?

Jean-Claude Naas : Les arbres fruitiers poussent écartés les uns des autres, ils ne forment pas une forêt. Donc le sol se couvre d’herbe. Alors soit on la fait paître, soit on récolte le foin. Dans les vergers industriels, vous avez déjà vu ça, ils désherbent à fond à grands coups de chimie, et le sol est tout nu, d’où lessivage, érosion, etc. Mais il y a encore des régions où l’on cultive sous les arbres, des céréales ou autres. On appelle ça l’agroforesterie, un système qui redémarre actuellement. À plus petite échelle, les vergers-jardins sont aussi en pleine renaissance. Enfin bref, au pied des arbres, surtout des jeunes, il vaut mieux limiter l’herbe. Au verger conservatoire de Triembach, par exemple, on y étale une bonne couche de broyat, sur un rayon d’un bon mètre, qui va enrichir et activer le sol en se décomposant, garder l’humidité et inhiber l’herbe. On fait attention de laisser le collet, à la base du tronc, bien dégagé et aéré.

Comment fait-on dans un jardin où on veut aussi avoir des arbres fruitiers ?

JC : Alors là il vaut mieux planter des petits arbres, scions ou demi-tiges, pour qu’ils ne prennent pas toute la place et ne fassent pas trop d’ombre. Et on jardine entre les arbres et en dessous, selon les légumes qu’on veut. Arbres, petits fruits, légumes et fleurs font très bon ménage. On couvre le sol le mieux possible, en recyclant tous les déchets végétaux sous forme de couverture plutôt qu’en les compostant, ou pire en les transportant à la décharge !

Ça fait un peu désordre, tous ces mélanges, non ?

JC : Ha ha ha, la nature n’est pas un jardin à la française, où tout est aligné au cordeau et « propre », sans un pissenlit qui dépasse… Les plantes poussent mieux si on les mélange, si on leur laisse un peu de liberté. La biodiversité, c’est la clé du jardinage équilibré. Les coccinelles et autres insectes auxiliaires accourent pour se nourrir de pucerons, les mésanges s’empiffrent de chenilles… Au bout d’un certain temps, on peut espérer avoir un vrai jardin naturel.

Mais ça ne pousse pas tout seul, quand même ?

JC : Non, rassurez-vous, il reste du travail à faire ! Il faut quand même désherber, entretenir, préparer les plates-bandes, récolter, replanter… Mais bon an mal an, peu à peu le travail diminue. Surtout, ça laisse du temps pour observer ce qui se passe. Regarder, comprendre les végétaux et les interactions avec leur milieu. Et ça, c’est un luxe qu’on apprend à apprécier !

Conclusion provisoire

Merci Jean-Claude pour ces grandes lignes. Comment peut-on approfondir, trouver plus de détails pratiques ?

JC : On a la chance, nous les Arboriculteurs, d’être très proches de l’ACJCA, une association qui explique tout sur le jardinage naturel, le compostage, le paillage, les soins par les extraits de plantes. On fait des démonstrations et des conférences ensemble, qui sont gratuites et passionnantes. Il vient d’ailleurs plein de monde. Et le site de l’ACJCA donne beaucoup d’indications pratiques très utiles. Au besoin, vous pouvez même m’appeler en cas de souci. Sinon il y a les livres, et des vidéos sur Internet. Attention toutefois, tout n’est pas à prendre comme parole d’évangile !

Interview par Jean-Luc Michel, février 2018

Deux exemples d’auteurs fiables à consulter sur Internet (ou dans leurs livres et articles de revues) :

Pour la vie du sol : les vidéos sur Youtube de Claude et Lydia Bourguignon.

Pour la compréhension (facile et enthousiasmante) des arbres et des végétaux en général, cette vidéo sur Youtube : « Eloge de la plante », par Francis Hallé, grand botaniste et défenseur des forêts.

Il y a évidemment beaucoup d’autres auteurs.

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